J.O. Numéro 164 du 18 Juillet 2001
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Texte paru au JORF/LD page 11512
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Observations du Gouvernement sur le recours dirigé contre la loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel
NOR : CSCL0104967X
La loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel, adoptée le 28 juin 2001, est contestée devant le Conseil constitutionnel par plus de soixante sénateurs. Les requérants invoquent, à l'encontre de ce texte, trois séries de moyens qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes :
I. - Sur l'article 6
A. - L'article 6 de la loi déférée insère, dans le titre III du livre Ier du code de la sécurité sociale, un nouveau chapitre V bis relatif au Fonds de réserve pour les retraites.
Initialement créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 sous la forme d'une section du Fonds de solidarité vieillesse, ce fonds devient, selon le nouvel article L. 135-6, un établissement public de l'Etat à caractère administratif. Il a pour mission « de gérer les sommes qui lui sont affectées afin de constituer des réserves destinées à contribuer à la pérennité des régimes de retraite ». Le même article précise que les réserves sont constituées au profit des régimes obligatoires d'assurance vieillesse visés à l'article L. 222-1 et aux 1o et 2o de l'article L. 621-3 du code de la sécurité sociale, c'est-à-dire, d'une part, le régime général des salariés, d'autre part, ceux des professions artisanales et des professions industrielles et commerciales.
Par ailleurs, l'article L. 135-10 confie la gestion administrative du fonds à la Caisse des dépôts et consignations, tout en spécifiant que cette activité est indépendante de toute autre activité de la caisse et de ses filiales.
Selon les sénateurs, auteurs du recours, ces dispositions seraient contraires à la Constitution, à un double titre. En premier lieu, l'article L. 135-6 méconnaîtrait le principe d'égalité devant la loi en réservant le bénéfice du fonds au seul régime général et aux régimes dits « alignés », alors que les autres régimes d'assurance vieillesse ne sont pas dans une situation différente. En second lieu, les dispositions de l'article L. 135-10 confiant la gestion administrative du fonds à la Caisse des dépôts et consignations méconnaîtraient le principe de liberté du commerce et de l'industrie et placeraient les concurrents des filiales de la caisse dans une situation d'inégalité au regard des appels d'offres qui seront organisés pour la gestion financière.
B. - Ces moyens ne sont pas fondés.
1. S'agissant des régimes bénéficiaires du Fonds de réserve des retraites, il convient d'abord de rappeler que la création de ce fonds se situe dans la perspective de la sauvegarde des systèmes de retraite par répartition. Son objet est d'intervenir pour assurer une sorte de « lissage », à compter de 2020, en complément de réformes structurelles engagées par les régimes d'assurance vieillesse.
Au regard de cet objet, il existe une différence de situation objective entre les régimes visés à l'article L. 222-1 et aux 1o et 2o de l'article L. 621-3 du code de la sécurité sociale et les autres. Les premiers ont fait l'objet, en juillet 1993, d'une réforme se traduisant notamment par un allongement de la durée d'assurance et de la période prise en compte pour la détermination du salaire annuel moyen, ainsi que par une maîtrise de l'évolution des prestations.
Ces caractéristiques justifiaient que le législateur ne retienne pas, à la date à laquelle il se prononçait, les autres régimes qui n'ont pas entrepris de telles réformes. S'agissant, en particulier, de celui des professions libérales (CNAVPL) mentionné dans la saisine, il est dans une situation objectivement différente, à plusieurs titres :
- il ne fonctionne pas selon les mêmes principes que le régime général et les régimes alignés, dans la mesure où la prestation servie par le régime de base est une prestation forfaitaire qui ne représente qu'une part faible de la pension, celle-ci étant, pour l'essentiel, assurée par le régime complémentaire ;
- ce régime doit, par construction, être équilibré en vertu de l'article R. 642-13 du code de la sécurité sociale ;
- en outre, il dispose lui-même d'un fonds de réserve et de compensation, défini à l'article R. 642-4 du même code.
Il convient cependant de rappeler que les sommes mises en réserve sont indisponibles jusqu'en 2020 et que la liste des régimes concernés n'est pas définitive : comme il a été souligné par le Gouvernement au cours des débats devant le Parlement, celui-ci sera appelé à se prononcer sur l'intégration d'autres régimes d'assurance vieillesse parmi ceux qui sont éligibles au fonds.
Cela étant, il est traditionnel de ne pas appliquer les mêmes règles à tous les régimes, étant rappelé que des mécanismes de financement fondés sur la solidarité entre régimes ou faisant intervenir la solidarité nationale fonctionnent d'ores et déjà au bénéfice de tous les régimes de base. On relève de nombreux précédents de ressources « universelles » non affectées à l'ensemble des régimes. On peut à cet égard mentionner :
- le prélèvement social de 2 % sur les produits de placements et les revenus de patrimoine, prévu à l'article L. 245-14 du code de la sécurité sociale, qui n'a longtemps financé que la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés et la Caisse nationale des allocations familiales avant d'être affecté pour une large part au Fonds de réserve des retraites ;
- la contribution à la charge des laboratoires pharmaceutiques assise sur leur dépenses d'information et de prospection, définie à l'article L. 245-1 du code de la sécurité sociale, et dont le produit est affecté à la seule Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés.
Ce type d'affectation n'a pas été jugé contraire à la Constitution. C'est ainsi que, à propos de l'affectation, à la seule Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, du produit des prélèvements instaurés par la loi no 83-25 du 20 janvier 1983, portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale, le Conseil constitutionnel a estimé, dans sa décision no 82-152 DC du 14 janvier 1983 « que pour décider de l'attribution du produit des nouvelles contributions à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, le législateur a pu, sans contrevenir au principe d'égalité, prendre en considération la diversité des situations dans lesquelles se trouvent les différentes caisses participant à la couverture du risque maladie tant du point de vue de leur charges que de leurs ressources ».
De même peut-on remarquer que l'article 21 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 comportait également un dispositif spécifique au bénéfice du régime général et de certains autres régimes : il s'agissait de la prise en charge, par la Caisse nationale des allocations familiales, du coût global des majorations de pensions pour enfants dont bénéficient seulement le régime général et les régimes alignés. Or, le Conseil constitutionnel a écarté, par sa décision no 2000-437 DC du 19 décembre 2000, des critiques d'inspiration semblable, fondées sur le principe d'égalité.
Il est donc clair que le législateur peut, sans méconnaître ce principe, décider de limiter l'affectation de certaines ressources afférentes à un risque, à certains des organismes de sécurité sociale concourant à la couverture dudit risque.
2. Les moyens dirigés contre l'article L. 135-10 nouveau du code de la sécurité sociale, relatif au rôle de la Caisse des dépôts et consignations dans la gestion du fonds, ne sont pas davantage fondés.
a) S'agissant, en premier lieu, de la gestion administrative du fonds, il convient de souligner que le fait de la confier à cet établissement public relève des modalités d'organisation du service public, lesquelles ne mettent en cause, par elles-mêmes, ni la liberté du commerce et de l'industrie ni le principe d'égalité.
En outre, et contrairement à ce qui est soutenu, la notion de gestion administrative ne présente aucune ambiguïté, y compris en tant qu'elle inclut la centralisation de la conservation des titres. Il s'agit en effet d'un élément important de sécurité, dans la mesure où la bonne exécution des autres fonctions de la gestion administrative repose en partie sur les informations données par le service de conservation. A ce titre, l'inclusion de la fonction de conservation dans la gestion administrative permettra en particulier un meilleur suivi des risques par le fonds.
b) En second lieu, les autres critiques adressées au dispositif manquent en fait, dès lors que la loi n'implique pas, par elle-même, de rupture d'égalité entre les participants aux appels d'offres de la gestion financière. La loi ne comporte, en effet, aucune disposition favorisant les sociétés du groupe de la Caisse des dépôts pour la participation à ces appels d'offres. Dans le cas où son application donnerait lieu à des abus, il appartiendrait aux autorités compétentes, et notamment au juge administratif ainsi que, le cas échéant, au Conseil de la concurrence, d'assurer l'égalité de traitement des candidats.
Il convient à cet égard de souligner que c'est, au contraire, l'exclusion des filiales de la Caisse des dépôts de la participation aux appels d'offres qui aurait été juridiquement contestable. En effet, les sociétés de ce groupe ont un objet propre, juridiquement autonome de celui de l'établissement public Caisse des dépôts. En outre, et au-delà du principe d'autonomie des sociétés, la séparation opérationnelle des activités concurrentielles des autres activités du groupe CDC limite le risque de conflits d'intérêt.
De surcroît, la loi contient des dispositions spécifiques pour la prévention de conflits d'intérêt potentiels. Ainsi, l'article L. 135-13 du code de la sécurité sociale prévoit-il que, pour la mise en oeuvre de la gestion financière, aucun membre du directoire ne peut délibérer dans une affaire dans laquelle lui-même ou, le cas échéant, une personne morale au sein de laquelle il exerce des fonctions ou détient un mandat a un intérêt. Cette disposition s'appliquera, le cas échéant, au directeur général de la Caisse des dépôts, président du directoire du fonds.
Enfin, on peut aussi relever que, suivant le premier alinéa de l'article L. 135-10 du code de la sécurité sociale, l'activité de gestion administrative du fonds sera indépendante de toute autre activité de la Caisse des dépôts et de ses filiales.II. - Sur l'article 17
A. - Le I de l'article 17 de la loi déférée a pour objet d'assouplir la règle, posée par le premier alinéa du I de l'article 39 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, selon laquelle une même personne, physique ou morale, ne peut détenir, directement ou indirectement, plus de 49 % du capital ou des droits de vote d'une chaîne de télévision diffusée par voie hertzienne terrestre.
L'assouplissement consiste à limiter la portée de cette interdiction aux chaînes hertziennes terrestres dont les programmes touchent une audience moyenne annuelle qui dépasse 2,5 % de l'audience totale des services de télévision.
Il est en outre précisé que, pour mesurer l'audience des programmes de la chaîne considérée, il doit être tenu compte non seulement de leur transmission par voie hertzienne terrestre (en mode analogique et en mode numérique), mais aussi de leur éventuelle diffusion par câble ou par satellite. De même, lorsque les programmes en cause font l'objet de rediffusions, en horaires décalés, sur des canaux annexes du canal principal, l'audience obtenue par ces rediffusions doit être ajoutée à celle du service de base.
Enfin, le législateur a renvoyé à un décret en Conseil d'Etat le soin de préciser les conditions dans lesquelles le Conseil supérieur de l'audiovisuel mesurera la part d'audience de chaque service. En cas de franchissement du seuil fixé par la loi, cette autorité indépendante impartira aux personnes concernées de se mettre en conformité avec la loi dans un délai qu'elle fixera en fonction des circonstances, mais qui ne pourra excéder un an.
Les auteurs de la saisine, sans contester la nécessité d'un assouplissement de la « règle des 49 % », estiment que les modalités choisies par le législateur pour parvenir à ce résultat encourent trois griefs d'inconstitutionnalité.
En premier lieu, ces modalités seraient contraires à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles imposeraient à tout moment aux personnes possédant ou contrôlant des services de télévision le respect de plafonds dont le dépassement peut dépendre du succès auprès du public des programmes diffusés par lesdits services ou des mécomptes des chaînes concurrentes.
En deuxième lieu, les saisissants estiment que les dispositions qu'ils contestent ne respectent pas l'objectif de pluralisme des courants d'expression socioculturels en ce qu'elles rendent possible la détention par une même personne de la totalité du capital de cinq chaînes hertziennes terrestres ayant chacune une part d'audience proche de 2,5 % de l'audience totale des services de télévision. La même personne pourrait ainsi, au travers de ces cinq entités, contrôler les programmes touchant presque 12,5 % des téléspectateurs.
En troisième lieu, les saisissants font valoir que les dispositions en cause violeraient l'article 34 de la Constitution en laissant au pouvoir réglementaire le soin de préciser les modalités de mesure par le Conseil supérieur de l'audiovisuel des parts d'audience respectives des chaînes de télévision. Ce faisant, le législateur aurait méconnu sa compétence.
B. - Pour sa part, le Gouvernement considère que les dispositions contestées sont conformes à la Constitution.
1. En premier lieu, la transposition au secteur audiovisuel, et spécialement au cas des chaînes diffusées par voie hertzienne terrestre, du raisonnement tenu par la décision no 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984 n'est guère pertinente car les activités de communication audiovisuelle s'exercent dans des conditions très différentes de celles de la presse écrite.
a) Dans le domaine de la presse écrite, où aucune contrainte technique ne vient limiter le nombre de publications qui peuvent être offertes aux lecteurs, le pluralisme est obtenu exclusivement grâce à la diversité des titres en présence et non par l'obligation faite à chaque quotidien ou périodique d'assurer en son sein une forme de pluralisme. Pour garantir une diversité de l'offre, le législateur de 1881 a supprimé tout obstacle juridique à la création d'une publication, et notamment toute forme d'autorisation préalable (article 5 de la loi du 29 juillet 1881).
Mais, comme il ne suffit pas qu'un journal soit créé pour que les lecteurs puissent y avoir accès, le législateur est ultérieurement intervenu pour régir de façon beaucoup plus contraignante les entreprises de groupage et de distribution de la presse écrite. C'est ainsi que la loi no 47-585 du 2 avril 1947 (dite « loi Bichet ») a prévu que, en dehors des cas où une entreprise de presse assurerait elle-même la distribution de ses propres titres, la mise en place des journaux et périodiques dans les points de vente doit être assurée par des sociétés coopératives de messageries de presse, lesquelles sont obligées d'accueillir, sur un pied d'égalité avec les autres membres, toute publication souhaitant recourir à leurs services (articles 6 et 10 de la loi du 2 avril 1947).
Les pouvoirs publics ont également mis en place des dispositifs visant à maintenir la diversité des titres existants, qu'il s'agisse des avantages fiscaux et postaux réservés aux publications d'information générale (article 39 bis du CGI, article 72 de l'annexe III du même code, articles D. 18 et D. 19-2 du code des postes et télécommunications) ou de subventions versées à certaines catégories de publications (cf., par exemple, l'aide aux quotidiens d'information politique et générale à faibles ressources de petites annonces, régie par les décrets no 86-616 du 12 mars 1986 et no 89-528 du 28 juillet 1989).
C'est dans ce cadre d'ensemble qu'est venue s'insérer la loi no 84-937 du 23 octobre 1984, dont les articles 10 à 15 visaient à préserver la variété des titres offerts au public en interdisant qu'une même personne prenne le contrôle d'un grand nombre de quotidiens. Ces articles n'autorisaient ainsi une personne à posséder ou contrôler un ou plusieurs quotidiens que si la diffusion totale de ceux-ci n'excédait pas certains plafonds, fixés en pourcentage de la diffusion de l'ensemble des quotidiens nationaux, d'une part, et de l'ensemble des quotidiens régionaux, départementaux ou locaux, d'autre part.
Lorsqu'il a examiné ces dispositions, le Conseil constitutionnel a rappelé qu'elles ne pouvaient avoir pour effet ni d'interdire de créer de nouveaux quotidiens ni d'obliger une personne à se déposséder de son entreprise de presse dans le cas où les quotidiens produits par celle-ci connaîtraient un succès tel auprès des lecteurs que leur diffusion en viendrait à dépasser les plafonds fixés par le législateur.
Le conseil n'a pas pour autant censuré les dispositions en cause. Au contraire, se fondant tant sur les travaux préparatoires que sur l'économie générale du secteur de la presse écrite, telle que rappelée brièvement ci-dessus, il a admis que les plafonds posés par la loi étaient applicables dans les cas où la diversité des titres offerts au public pouvait se trouver menacée, c'est-à-dire en cas d'acquisition ou de prise de contrôle d'un journal par un autre journal.
b) Dans le domaine de l'audiovisuel, la situation est entièrement différente de celle qui prévaut en matière de presse écrite du fait des contraintes techniques liées à la rareté des ressources hertziennes.
Jusqu'à maintenant, du fait de cette contrainte technique, le nombre de chaînes de télévision pouvant faire l'objet d'une diffusion par voie hertzienne terrestre sur l'ensemble du territoire n'a pas dépassé six. Il en résulte que le pluralisme ne pouvait être assuré par la seule diversité des programmes offerts aux téléspectateurs. C'est ce qui a conduit le législateur à mettre en place des dispositifs visant à garantir le pluralisme à l'intérieur des chaînes de télévision (on parle ainsi de « pluralisme interne »).
Pour le secteur public, cet objectif est atteint notamment par les règles posées par la loi en matière d'organisation et de fonctionnement des chaînes (modalités de nomination des présidents, composition des conseils d'administration, cahiers des missions et des charges, contrats d'objectifs et de moyens...).
Pour les chaînes du secteur privé, cela a conduit à la mise en place d'un mécanisme d'autorisation préalable, ce qui est à l'opposé de la situation prévalant dans le domaine de la presse écrite. L'objet même de ce régime d'autorisation est de permettre à l'autorité de régulation de s'assurer que l'entreprise à laquelle va être confiée la jouissance d'une partie du spectre hertzien respectera, dans ses programmes comme dans son organisation interne, un certain pluralisme, ainsi que le souligne le considérant no 22 de la décision no 86-217 DC du 10 septembre 1986.
Parmi les contraintes édictées en vue de préserver le « pluralisme interne » des chaînes hertziennes nationales figure la règle selon laquelle une même personne ne peut détenir plus d'une certaine fraction du capital ou des droits de vote de la société titulaire de l'autorisation. Initialement, le plafond a été fixé à 25 % par la loi du 27 novembre 1986. Il a ensuite été relevé à 49 % par la loi du 1er février 1994.
Le passage de la diffusion en mode analogique à la diffusion en mode numérique, qui permet de « comprimer le signal » et par conséquent de loger simultanément plusieurs programmes sur une même bande de fréquences, va permettre de desserrer quelque peu la contrainte technique liée à l'ampleur limitée du spectre hertzien. Le nombre de chaînes diffusées par voie hertzienne terrestre sur la plus grande partie du territoire pourrait passer de six à une trentaine.
C'est pourquoi, lorsqu'il a posé, dans la loi du 1er août 2000, le cadre juridique applicable à ce nouveau mode de diffusion, le législateur a partiellement assoupli les contraintes conçues, dans un contexte de plus grande rareté des fréquences, à l'intention des chaînes diffusées en mode analogique. Il a ainsi autorisé un même groupe à détenir jusqu'à cinq autorisations de diffusion par voie hertzienne terrestre en mode numérique couvrant l'ensemble du territoire, alors qu'il est interdit de détenir plus d'une autorisation de diffusion nationale en mode analogique. Bien que des interrogations aient été exprimées, lors des débats, sur l'opportunité de maintenir pour les chaînes numériques une application stricte de l'interdiction faite à une même personne de détenir plus de 49 % du capital ou des droits de vote, le législateur a choisi à l'époque de ne pas modifier cette règle.
Lors de l'examen de la loi du 1er août 2000 par le Conseil constitutionnel, les auteurs de la saisine ont contesté le maintien de la « règle des 49 % » à l'égard des chaînes numériques, estimant que cette contrainte était disproportionnée par rapport à l'objectif de préservation du pluralisme.
Rappelant qu'il n'avait pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que le Parlement, le Conseil constitutionnel n'a pas accueilli ce grief. Dans sa décision no 2000-433 DC du 27 juillet 2000, il a jugé que le législateur n'avait pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre lorsque « faisant usage de son pouvoir d'appréciation, il avait choisi d'appliquer au secteur de la diffusion numérique un certain nombre des règles relatives à la diffusion analogique, afin de préserver le pluralisme des courants d'expression socioculturels », et en particulier le plafond de 49 % applicable à la détention du capital ou des droits de vote d'une société.
En fixant les obligations applicables aux chaînes numériques, le législateur doit se livrer à un exercice délicat. En effet, comme le Conseil constitutionnel l'a relevé, il doit « , dans un contexte où la ressource radioélectrique demeure limitée, (...) prévenir, par des mécanismes appropriés, le contrôle par un actionnaire dominant d'une part trop importante du paysage audiovisuel ». Mais il doit également assouplir suffisamment des contraintes, qui ont été conçues dans un cadre de très grande rareté des fréquences, pour ne pas décourager les opérateurs d'investir des sommes importantes dans le lancement de chaînes numériques, alors que les perspectives de rentabilité risquent d'être moins intéressantes du fait de la concurrence accrue qui résultera de l'augmentation du nombre de programmes disponibles.
En maintenant des règles trop contraignantes, le législateur risque d'empêcher l'émergence de chaînes supplémentaires dans le paysage audiovisuel et de compromettre ainsi la réalisation de l'objectif de diversité des programmes qui contribuera, mieux que les règles relatives au « pluralisme interne », à assurer la représentation de l'ensemble des courants d'expression à la télévision. L'enjeu est de taille car seul le développement de la diffusion numérique par voie hertzienne terrestre permettra à la plus grande partie de la population d'accéder à un nombre accru de chaînes. En effet, le câble ne dessert que les parties urbanisées du territoire. Quant aux bouquets satellitaires, ils ne touchent que les ménages disposés à acquérir un équipement relativement onéreux et à payer un abonnement. En revanche, les chaînes diffusées par voie hertzienne terrestre en mode numérique pourront être reçues, à terme, par tous les téléviseurs car les postes mis sur le marché dans les années à venir seront adaptés en vue de décoder les signaux numériques. Il est donc essentiel, en termes de démocratisation du paysage audiovisuel, de créer les conditions du succès pour la télévision numérique de terre.
Or, il est apparu, lors des travaux et des concertations précédant le lancement du premier appel à candidatures pour l'attribution d'autorisations de diffusion en mode numérique, que l'absence d'assouplissement de la « règle des 49 % » risquait de compromettre le développement de ce mode de diffusion. En effet, il est économiquement impossible que les opérateurs privés créent de toutes pièces une vingtaine de nouvelles chaînes pour meubler les canaux supplémentaires qui seront dégagés grâce à la numérisation du signal. En outre, si l'offre numérique était composée exclusivement de programmes entièrement nouveaux, elle aurait beaucoup de difficulté à conquérir un public face aux chaînes du câble et du satellite qui jouissent d'une audience importante.
Il est donc certain qu'une partie substantielle des programmes offerts en mode numérique par voie hertzienne terrestre sera assurée grâce à la migration vers ce nouveau mode de diffusion des chaînes qui sont actuellement diffusées par câble ou par satellite.
Or, aucune disposition législative n'interdit à un même opérateur de détenir la totalité du capital des chaînes du câble ou du satellite puisque l'abondance des programmes offerts par ces modes de diffusion (qui ne sont pas soumis aux contraintes techniques liées à la rareté des fréquences hertziennes terrestres) a toujours semblé un moyen suffisant de faire respecter l'objectif du pluralisme. Le maintien en l'état de la « règle des 49 % » aurait contraint les opérateurs qui détiennent plus de cette fraction du capital dans les chaînes du câble et du satellite à devoir se dessaisir immédiatement de la part excédentaire pour pouvoir obtenir une autorisation en mode numérique. Compte tenu des investissements exigés par la migration vers la diffusion numérique et de l'incertitude sur la rentabilité de cette nouvelle activité, il était à craindre que nombre des opérateurs concernés s'abstiennent de faire acte de candidature pour l'attribution de ces autorisations.
A l'invitation du Gouvernement, le législateur a donc accepté d'assouplir la « règle des 49 % ». Il n'a cependant pas souhaité la faire disparaître. En effet, en l'état actuel des choses, le paysage audiovisuel ne comprend toujours que trois chaînes privées diffusées sur l'ensemble du territoire par voie hertzienne. La limite fixée par la loi en ce qui concerne la détention du capital de ces chaînes n'a rien perdu de sa pertinence. Les programmes diffusés par les chaînes hertziennes analogiques continueront d'ailleurs sans doute à capter la plus grande part de l'audience pendant un temps assez long. L'effet produit par l'arrivée des nouvelles chaînes diffusées en mode numérique par voie hertzienne terrestre ne se fera sentir que progressivement, au fur et à mesure que les téléspectateurs acquerront des postes de télévision acceptant les signaux numériques.
Par ailleurs, il n'est pas souhaitable de prévoir des règles différentes pour la diffusion analogique et pour la diffusion numérique puisque la seconde a vocation à remplacer entièrement la première dans un délai d'environ dix ans et que, dans cette perspective, il est nécessaire que les chaînes actuellement diffusées en mode analogique soient les premières à adopter le mode numérique (les deux modes de diffusion étant appelés à coexister pour ces chaînes jusqu'à ce que tous les postes de télévision soient à même de recevoir des signaux numériques).
Pour assouplir la « règle des 49 % » sans la faire disparaître, la solution qui a paru préférable, au Gouvernement comme à l'Assemblée nationale, est de réserver son application aux chaînes dont la part d'audience dépasse un seuil fixé à 2,5 % de l'audience totale des services de télévision.
La pertinence du critère d'audience pour mesurer l'impact d'un programme est difficilement contestable. Si l'on veut, comme l'implique la jurisprudence du Conseil constitutionnel, éviter « les concentrations susceptibles de porter atteinte au pluralisme » (décision no 86-217 DC précitée), il importe de prendre en compte l'influence effective des différents médias sur le public.
Il convient de relever que le critère de l'audience télévisuelle ou radiophonique, combiné avec celui de la diffusion en presse écrite lorsqu'il s'agit de règles plurimédias, est couramment retenu dans les législations étrangères visant à limiter, du point de vue du pluralisme et de la liberté d'expression, la concentration des médias. Un plafond d'audience, validé par l'Independent Television Commission sur une période de 12 mois, fonde notamment le nouveau dispositif anticoncentration instauré en Grande-Bretagne pour les télévisions privées par le Broadcasting Act de 1996. De même, le troisième Traité fédéral amendant la loi sur la radiodiffusion (Rundfunkstaatsvertrages), entré en vigueur au 1er janvier 1997, a introduit un dispositif de limitation fondé sur les parts d'audiences des chaînes de télévision détenues par chaque opérateur observées en moyenne sur 12 mois. Au plan communautaire, le « projet de directive relative à la propriété des médias dans le marché intérieur » établi en septembre 1995 par la Commission sur la base des consultations organisées autour du Livre vert de décembre 1992 intitulé Pluralisme et concentration des médias visait à une réforme harmonisée de l'ensemble des dispositifs anticoncentration de chacun des Etats, notamment à travers l'extension d'une limitation de la part d'audience, à la fois par média et pour l'ensemble des médias.
Si l'on se réfère au raisonnement tenu par le Conseil constitutionnel dans sa décision des 10 et 11 octobre 1984, invoquée par les saisissants, selon lequel il importe que le législateur ne porte pas une atteinte excessive à des situations légalement acquises, les dispositions contestées, loin de remettre en cause de telles situations, permettent au contraire aux opérateurs de faire migrer vers la diffusion hertzienne terrestre en mode numérique les chaînes qu'ils détiennent à plus de 49 %, sans être contraints de modifier la structure capitalistique de ces dernières. Alors que, selon les dispositions issues de la loi du 1er août 2000, ils auraient été contraints de réduire leur participation au capital pour pouvoir participer aux appels à candidatures en vue de l'attribution de fréquences.
De même, les opérateurs qui, au vu des nouvelles dispositions, décideront de faire migrer une chaîne qu'ils détiennent à 100 % vers la diffusion hertzienne terrestre en mode numérique seront avertis, dès le départ, qu'il leur faudra, si cette chaîne devient un jour grâce à ce changement de vecteur un acteur important du paysage audiovisuel, diluer une partie de leur capital. Il est important d'observer, à cet égard, que l'application de la « règle des 49 % » ne se traduira pas, alors, par l'obligation de céder une entreprise, ni d'en perdre entièrement le contrôle, mais simplement par l'obligation d'accueillir de nouveaux porteurs de parts au sein de l'entreprise.
Il s'agit, dans un système où le nombre de chaînes hertziennes terrestres restera limité à une trentaine, de compenser la part importante d'audience de certaines chaînes, susceptible de constituer une menace pour l'offre pluraliste de programmes, par l'introduction au sein de ces chaînes d'une dose de « pluralisme interne ».
Il y a donc là une différence fondamentale avec le dispositif en cause en 1984. En effet, les réserves d'interprétation du Conseil constitutionnel portaient alors sur un mécanisme dans lequel un opérateur aurait été obligé de céder son entreprise ou d'en perdre le contrôle en cas de succès d'un organe de presse. En l'espèce, il s'agit de tout autre chose : la loi conduit seulement, lorsque l'influence effective d'un média atteint un certain seuil, à imposer une ouverture plus grande du capital. Loin de s'exposer au risque de limiter l'offre, ce dispositif en favorise au contraire l'extension. Il apporte ainsi une garantie additionnelle, sans remettre en cause, ni le contrôle de l'entreprise concernée par son propriétaire ni a fortiori son existence.
Il apparaît donc, au vu de ce qui précède, que les dispositions contestées par les saisissants ne sont nullement contraires à l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
2. Le deuxième grief articulé par les saisissants doit également être écarté pour les raisons qui viennent d'être exposées.
La mesure contestée vise, ainsi qu'on l'a indiqué, à inciter les opérateurs à créer des chaînes diffusées en mode numérique par voie hertzienne terrestre afin d'accroître la diversité des programmes offerts à l'ensemble de la population. L'objet même de cette mesure est de garantir, grâce à la présence d'un plus grand nombre de chaînes sur les écrans, la représentation plurale des courants d'expression. L'absence d'assouplissement de la « règle des 49 % » risquerait au contraire de contrarier la poursuite de cet objectif en restreignant le nombre de chaînes offertes à la majorité des téléspectateurs.
Par ailleurs, il va de soi qu'une personne qui contrôlerait cinq chaînes ayant chacune une part d'audience proche de 2,5 % se trouverait dans une situation différente d'une personne qui détiendrait une seule chaîne dont la part d'audience serait de 12,5 %. Dans le premier cas, chaque chaîne devrait nécessairement fournir un programme autonome, contribuant ainsi à la diversité du paysage audiovisuel.
3. Le troisième grief ne peut non plus être accueilli.
Il résulte en effet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'en matière de garanties fondamentales des libertés publiques, il est fait obligation au législateur de fixer avec une précision suffisante les règles applicables mais que, comme le montre notamment la décision no 88-248 DC du 17 janvier 1989, cela ne lui interdit nullement de renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de préciser les modalités d'application des règles ainsi posées.
En l'espèce, le législateur a déterminé avec précision la part d'audience qui constitue le seuil de déclenchement pour l'application de la « règle des 49 % ». Il a défini, en particulier, les principes de comptabilisation des programmes d'une chaîne donnée. Il a également fixé l'assiette à laquelle cette audience devait être rapportée pour mesurer la part d'une chaîne. Il a confié au CSA, autorité de régulation indépendante, le soin de réaliser la mesure des parts d'audience. Il a précisé qu'une chaîne qui franchirait le seuil des 2,5 % disposerait d'un délai pour procéder à la dilution de son capital et que ce délai serait fixé par le CSA en fonction des circonstances mais ne pourrait pas dépasser un an.
Au vu de ces précisions, il apparaît que le législateur n'a pas méconnu les exigences de l'article 34 en renvoyant à un décret en Conseil d'Etat le soin de préciser les modalités techniques de mesure des parts d'audience.III. - Sur l'article 36
A. - L'article 36 de la loi déférée modifie la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération en vue de créer une nouvelle catégorie de coopératives, les sociétés coopératives d'intérêt collectif.
Pour contester cet article , les sénateurs requérants font valoir qu'il a été introduit en méconnaissance des règles régissant le droit d'amendement. Ils estiment, d'une part, que les dispositions qu'il contient sont dépourvues de tout lien avec le texte en discussion, d'autre part, qu'elles dépassent, par leur objet et leur portée, les limites inhérentes au droit d'amendement.
B. - Il convient d'observer que la seconde branche de cette argumentation est inopérante. Il résulte en effet de la décision no 2001-445 DC du 19 juin 2001 que les conditions dégagées par les décisions no 86-221 DC du 29 décembre 1986 et no 86-225 DC du 23 janvier 1987 sont abandonnées. S'agissant de dispositions introduites avant la réunion de la commission mixte paritaire, il suffit donc, désormais, que les articles issus d'amendements ne soient pas dépourvus de tout lien avec les autres dispositions du texte initialement déposé.
Sur ce point, la jurisprudence est pragmatique, comme le montre, en dernier lieu, la décision du 19 juin 2001. Cette décision admet en effet la régularité de l'insertion dans une loi, qui à l'origine ne portait que sur le statut de la magistrature, de dispositions ouvrant aux juridictions pénales la possibilité de solliciter l'avis de la Cour de cassation sur des questions de droit nouvelles, permettant à des formations restreintes de la cour de rejeter certains pourvois, ou encore autorisant le recrutement par elle d'assistants de justice.
Pour admettre l'existence d'un lien suffisant entre des dispositions introduites par voie d'amendement et le texte initial, il suffit donc de pouvoir les relier à l'objet du texte déposé ou au moins à l'une des dispositions qui y figuraient.
A cet égard, on relèvera que le projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel comportait, avec l'article ratifiant le code de la mutualité, un dispositif traitant du statut d'organismes intervenant dans le secteur de l'économie sociale. Il était donc possible d'y introduire un amendement créant une nouvelle catégorie de personnes morales intervenant dans ce secteur, les sociétés coopératives d'intérêt collectif.